Je lis par contre un peu la presse spécialisée dans le domaine, et je connais également quelques uns de ces passionnés de jeux. Notamment de jeux de rôles, de jeux de stratégie et autres wargames2, le tout souvent en réseau via Internet pour les jeux sur micros. Et chaque fois que je les entends en parler, ou que je lis des critiques ou des articles sur le dernier (ou futur selon le cas) jeux à la mode, le refrain est toujours le même : "Encore plus réaliste... Une I.A.3 encore plus perfectionnée... On s'y croirait..."...

Personnellement, j'apprécie qu'un jeu soit réaliste : Qu'il y ait une certaine cohérence dans le scénario, que les graphismes soient soignés, les animations fluides, les sons réalistes, que les réactions des personnages (ou l'interactivité avec les décors) ne soient pas idiots... Qu'un jeu de simulation de course de voitures prenne en compte le type et l'usure des pneus, ainsi que la consommation du véhicule (entre autres choses) me semble parfait... Qu'une arme ne dispose pas de munitions illimitées et qu'il faille s'en procurer, ou qu'un personnage puisse perdre, puis retrouver de l'énergie suivant les circonstances me semble logique ; Sinon dans l'absolu, au moins dans le contexte du jeu...

Mais attention : il faut bien garder à l'esprit que tous ces détails et artifices rendant les jeux si réalistes à nos yeux ne sont en fait que le fruit de la modélisation4 avancée de données, de réactions, et de comportements. Cette remarque, qui pourrait sembler anecdotique à certains, ou paraître prétentieusement technique à d'autres, est à mon avis très importante ; Et l'oublier peut avoir de graves conséquences.

Bien que l'évolution des technologies permette d'affiner de plus en plus la modélisation, celle-ci ne peut pas encore intégrer des phénomènes vraiement complexes, et doit obligatoirement faire l'impasse sur nombre de paramêtres. Un certain nombre de données est ainsi sacrifié sur l'autel des limites technologiques, et budgétaires... Ce phénomène amène à une simplification des caractères et interactions évoqués plus haut, indécelable à première vue, mais néanmoins à l'origine d'un fort décalage entre le modèle et la réalité.

Par ailleurs, cette modélisation est le fruit d'un travail humain, donc influencé par la perception qu'ont les concepteurs de ce qu'ils modélisent. Si la modélisation du comportement d'un pneu de voiture peut se faire à partir de données techniques dans lesquelles la perception humaine peut n'avoir que peu d'importance, il n'en est pas de même dans le cas de la modélisation du comportement de la population d'un pays, ou d'hommes politiques, ou encore de militaires...

Or, pour profiter du jeu, le joueur n'a pas d'autre choix que de s'adapter aux modèles utilisés par les concepteurs du jeu...

"Et alors ?" me diront certains, "Le principal c'est de s'amuser...". Oui, le principal est en effet de s'amuser... Mais on aura du mal à me faire croire que des jeux qui ont la capacité de captiver, de passionner à ce point, restent de simples jeux. Je pense que cette passion, cette captivation finissent par provoquer un investissement beaucoup trop important du joueur (à moins qu'elles n'en soient le fruit ?) pour qu'ils ne soient encore que des jeux pour lui ; Et ce, même si cet investissement n'est pas conscient... Tant que le joueur est à même de faire la part des choses entre ce qui fait partie du jeux (et qui ne fait partie que du jeu), et ce qui se passe dans la vie réelle, tout va bien. Mais cela présuppose un bon équilibre psychologique, un minimum de maturité, ainsi qu'un bon fond de culture...

Or le public accédant aux jeux vidéo est de plus en plus jeune. Le fait que les parents n'éxercent bien souvent qu'un contrôle très relatif sur l'utilisation des jeux en question (aussi bien en ce qui concerne la durée que le choix) ne fait qu'accentuer le risque lié à l'utilisation sans discernement de certains de ces jeux. Quelle morale (ou quelles conclusions, comme on préfère...) tirera un enfant (ou même un adolescent) de l'utilisation forcenée de jeux dans lesquels la seule issue consiste à tuer tout ce qui bouge, ou voler des voitures, ou encore conclure, pour mieux les trahir ensuite, des alliances avec ses ennemis ?...5 Même s'il est évident que le rôle premier des jeux vidéos n'a jamais été d'éduquer nos chères têtes blondes, ce n'est peut-être pas une raison pour qu'ils les déforment...

Le public adulte n'est pas non plus à l'abri de dérives possibles. Le scénario du joueur sortant de chez lui avec un fusil à pompe pour tirer sur tout ce qui bouge après une partie de DOOM (ou autres Duke et Quake...) peut sembler assez improbable (ou du moins guère plus qu'après certaines séries télé ou certains films...). Le risque est à mon avis bien plus insidieux. Qui peut garantir qu'un fan de sport automobile, après des dizaines (centaines ?) d'heures passées au volant (des kits volant/pédalier sont disponibles pour la majorité des consoles, ainsi que pour PC) de sa console, après plusieurs "saisons de championnat" durant lesquelles il aura amélioré ses performances, ne finira pas par confondre la maitrise de sa console avec la maitrise de son véhicule ? J'éxagère ? Voire...

Ne vous méprenez pas : Cette chronique n'est pas une attaque en règle contre les jeux vidéo (ils n'en subissent déja que trop à mon goùt), mais plus simplement un plaidoyer pour un peu de discernement dans leur choix et leur utilisation, ainsi que l'apparition d'une éthique (denrée en voie de disparition dans ce domaine comme dans bien d'autres) chez les éditeurs...